1995, Bouriège, Aude.
Le jardin d'Emilia Hazelip |
Manasobu Fukuoka |
Dans la recherche actuelle pour des
systèmes de production agricole durable, le travail de Manasobu
Fukuoka mérite d'être connu pour ce qu'il propose de
fondamentalement différent.
Car ce qu'il fait, c'est d'arrêter le
labour, le travail du sol, l'utilisation et enfouissement de fumier,
compost, ou tout autre engrais, qu'il soit biologique ou chimique.
Fukuoka est un microbiologiste et un
agriculteur japonais, qui en 1937 commença une agriculture tout à
fait révolutionnaire, qui peut être considérée comme la première
réforme agronomique depuis que l'agriculture existe.
Emilia Hazelip |
Je suis agricultrice, habitant en
France, mon apprentissage en agriculture biologique commença en
Californie au début des années 60. Le travail de labour que je
devais faire me rappelait toujours la terre brûlée, souffrante, des
champs de blé de Castille.
Je me suis intéressée au travail de
Fukuoka en 1978 lors de la parution de son livre La Révolution
d'un Seul Brin de Paille. Son travail confirmait en pratique
l'intuition que j'avais de n'avoir pas à travailler le sol. Mais les
résultats que j'avais en l'imitant étaient très décevants, et
j'ai vite compris la nécessité d'adapter son système à d'autres
conditions climatiques et culturelles que les siennes.
Le jardin que vous voyez a été
réalisé en suivant les mêmes principes que Fukuoka propose pour
obtenir des récoltes abondantes tout en gardant un sol sauvage, qui
s'auto-fertilise lui-même perpétuellement, car ce système agricole
utilise la dynamique de la loi de la synergie.
1 Aucun travail du sol
Le sol se travaille lui-même
2 Aucun apport de fertilisant
La terre se nourrit par la biomasse déchétuaire du sol
3 Aucun traitement de synthèse
On introduit des prédateurs
4 Aucun tassement du sol
En évitant de le compacter, le sol s'aère de lui-même.
Après le dernier labour, on prépare
le sol pour faire les plates-bandes en indiquant avec des bâtons où
vont aller les couloirs, et avec une pelle on prend la terre des
couloirs et on la met dans l'espace
réservé aux plantes.
Si la qualité du sol le permet, on
peut creuser à nouveau dans les couloirs pour augmenter la hauteur
des plates-bandes : plus il y aura de sol, plus les plantes pourront
y enfoncer leurs racines.
Avec un râteau, on ratisse les
plates-bandes et on enlève les cailloux qui peuvent s'y trouver.
Les dimensions des plates-bandes :
120cm de large, 50 cm pour les couloirs
La hauteur dépend de votre sol, si vous pouvez, 50 cm de hauteur
Les formes que vous donnez aux
plates-bandes peuvent être aussi variées que votre imagination le
permet, à condition toujours de respecter la largeur.
Un mulch de paille, soutenu par des
bâtons en cas de grand vent.
La hauteur ici est de 50 cm, ça arrive
à mes genoux.
En cas de grosse pluie, un autre
avantage des plates-bandes est que la pluie n'emporte pas les
plantes.
La forme finale de ce jardin, qui fait 1/2 hectare de surface.
Une autre façon possible de préparer
la terre pour faire le jardin, ou pour toute autre culture, sans
avoir à préparer le sol, est de le couvrir avec des cartons ou des
tapis, et ainsi faire disparaître la végétation en place, les
"mauvaises herbes".
Ici, nous allons préparer le sol tout en faisant une culture de pommes de terre.
Dans cette agriculture, nous n'avons
plus besoin d'ajouter des compensateurs fertilisants au sol car nous
arrêtons l'action responsable de la perte de fertilisation du sol
qui est le labour, même superficiel. Le sol c'est comme l'océan : tous les
animaux qui y habitent ont besoin d'air pour respirer, mais en dose
filtrée. Lorsqu'on travaille trop le sol, tous ces micro-organismes
meurent brûlés par l'excès d'oxygène.
Puisque les plantes synthétisent de la
matière à partir de la lumière et qu'en plus elles font de la
transmutation biologique, nous n'avons pas à mettre dans le sol
l'équivalent en fertilisant de ce que la plante a dans ses tissus. Ou en termes agronomiques : ce qu'elle
exporte du sol en fertilisants.
Les plantes ne prennent du sol que le
minéral et les oligoéléments, en tout 2.5% du total de leur masse
végétale.
Les pommes de terre ici sont déjà
plus grandes, c'est le mois de juillet il sera bientôt temps de les
cueillir.
Juste avant la cueillette, le champ de
pommes de terre qui a poussé sous du carton :
Et voilà c'est facile on n'a qu'à ouvrir le mulch et on prend les pommes de terre.
Ici des plates-bandes, on utilise les
bords pour planter des poireaux, [au centre] des fèves, qui est une plante
légumineuse qui va fixer l'azote
On retire le mulch pour laisser le sol
se réchauffer avant de faire des semis au début du printemps.
Même si l'on ne fait pas de compost
parce que la terre n'en n'a pas besoin, il y a toujours un compost à
faire ne serait-ce que pour recycler les ordures et les déchets de
la cuisine et de la maison.
Donc ce compost sera utilisé dans la
serre pour y cultiver les jeunes plants, ou si votre climat est froid
et que vous utilisez une serre pour l'hiver.
Ici on va transplanter des salades qui
ont été démarrées dans un compost fait pour la serre.
L'action simultanée d'éléments
indépendants qui, ensemble, ont un effet total plus grand que la
somme de leurs parts : c'est ça la synergie. La matière vivante sait créer l'ordre
à partir d'un désordre apparent : seule la matière vivante possède
cette propriété.
C'est ce principe de la vie qui est
appliqué ici à l'agriculture.
Dans cette agriculture, on utilise les
plantes comestibles appartenant à la famille des légumineuses comme
partenaires fertilisants, pour ajouter de l'azote au sol : des petits
pois, des haricots.
Ici ont est en train de semer des
haricots et on ajoute un peu de cendres au moment du semis pour
apporter de la potasse et stimuler leur germination.
Les micro-fixateurs d'azote
transforment l'azote gazeux en ammonium. L'ammonium entre dans les légumineuses
sous forme d'acides aminés, ou sera converti en nitrates par les
microbes du sol et absorbé alors par les autres plantes. Les mycorhizes et autres bactéries
vivent grâce aux plantes, grâce aux sucres exsudés par leurs
racines. L'humus est de la matière organique
décomposée presque stable qui est responsable de la transformation
d’éléments nutritifs minéraux non assimilables par les plantes
en éléments sous forme soluble dont les plantes ont besoin.
Il y a deux sortes d'humus : l'humus
microbien, et l'humus résiduel.
L'humus microbien se fait très vite
dans un sol rempli de cadavres microbiens et de polysaccharides
hérités de la matière organique déchétuaire du mulch et des
plantes après culture se décomposant dans le sol. Même dans des sols très pauvres en
humus résiduel, on peut obtenir rapidement une structure correcte et
une quantité importante de cadavres microbiens pour nourrir les
cultures sans devoir attendre toutes les années nécessaires au
développement de l'humus résiduel, l'humus stable.
Il y a jusqu'à 4 millions de bactéries
dans un gramme de sol, et l'azote gratuit fixé par les bactéries et
levures peut aller jusqu'à 100kg par hectare et par an. Les cadavres
microbiens en sol couvert : de 70 à 80 tonnes par hectare et par an,
mais seulement de 6 à 7 tonnes dans un sol travaillé en sol nu.
Des fèves, des haricots, des petites courges qui poussent
Ici on va faire la cueillette des fèves
Après que la fève sera coupée, fauchée, on la laisse comme mulch sur le sol. Les racines, elles, vont rester dans le sol et se décomposer.
On va planter des oignons et la toute la famille des alliacées ail, poireaux, oignons.
Ces plantes, en plus de nous donner de la nourriture, sont protectrices pour les autres cultures.
L'ail est un insecticide, un insectifuge, un bactéricide, un fongicide et un nématicide. Les oignons aussi ont ces propriétés.
On va donc utiliser les côtés des plates-bandes comme espaces pour ces cultures. On intercale les poireaux avec les salades et tout l'espace qui a été perdu dans les couloirs est récupéré dans les côtés.
Les haricots sortent entre le mulch.
Un hectare de légumineuses peut fixer par an 400 kg d'azote.
Des fois il y a des plantes qui se ressèment d'elles-mêmes. Lorsqu'on permet aux plantes de finir leur cycle végétatif, beaucoup se ressèment et on peut les transplanter dans les endroits qu'on veut pour leur culture.
Ici des blettes, qui peuvent aussi être mises dans les bas-côtés des plates-bandes.
Les tontes d'herbe ou de gazon peuvent être utilisées comme mulch, mais il faut faire attention à ce qu'elles soient fanées et qu'il n'y ait pas de graines.
Le mulch : vieux mot français tombé en désuétude qu'on se permet d'utiliser même si entre-temps il est devenu un mot anglais, et qui veut dire "couverture faite par quelque chose de mou".
Le mulch c'est donc une couverture faite de n'importe quelle substance à condition qu'elle soit biodégradable. Vous pouvez faire des mulchs de papiers, cartons, laine de mouton, pailles diverses.
Avec la paille d'avoine, vous pouvez prévenir les attaques de champignons parasitaires. Les tiges sèches de maïs et les fanes de plantes de soja attirent les streptomycètes qui exsudent des antibiotiques favorables aux plantes cultivées.
Le mulch ici est appliqué sur des tuyaux qui ont été découverts de la plate-bande
Dans la nature, tous les sols vivants se maintiennent couverts, par un mulch de débris forestiers, ou par une couverture végétale vivante. Les forêts créent les sols les plus fertiles. Une couverture organique permanente du sol est nécessaire pour créer et maintenir la fertilité de la terre.
Ici c'est du broyât forestier qui est mis sur le couloir
La première année, lorsqu'on a dû travailler le sol pour faire les plates-bandes, on aura autant de désherbage à faire que si l'on faisait n'importe quelle autre agriculture.
Mais chaque année, le désherbage diminue : nous avons ici un système évolutif.
Les canards coureurs indiens sont de grands mangeurs de limaces et je les avais au jardin pour cette raison. Mais après avoir remarqué qu'ils étaient devenus végétariens, je ne les recommande plus comme prédateurs de limaces.
Il faut quand même introduire autant de prédateurs que possible : les hérissons, lézards, orvets, crapauds, grenouilles mangent des limaces. Il y a aussi les carabes, sortes de scarabées, qui mangent des limaces.
Ces cylindres en cuivre sont très utiles lors de la transplantation et du repiquage des salades pendant la phase critique où les limaces les mangent.
A la sortie de la cuisine, on peut faire des spirales pour les herbes aromatiques.
Dans celle-ci j'ai mis : 3 sortes de sauge, du thym, de la sarriette, de l'estragon, du persil, et tout en haut on voir une plante de capucine.
Les soucis protègent toutes les plantes, surtout les tomates et les pommes de terre, des nématodes. Et on peut aussi les manger. Autres plantes bénéfiques : l’absinthe et la citronnelle qui repoussent les mites et la piéride du chou; les capucines qui repoussent les coléoptères des haricots et protègent des nématodes, des pucerons noirs des choux et des parasites des courges.
Nous sommes au mois de juillet, voici le développement des plantes :
Ces blettes sont celles qui ont été repiquées au début du film
Un autre partenaire pour la fertilisation du sol dans cette agriculture est le lombric, le ver de terre laboureur qui se nourrit de plantes mortes, feuilles, tiges et racines... mais pas de compost.
Il se nourrit aussi de viande et gras cru, et des fractions minérales du sol.
Le lombric produit chaque jour son poids de déjections. Un hectare de terre non traumatisée par le travail du sol peut produire plus de 10 tonnes de tortillons par an, soit 100% du total du volume du sol. Ils peuvent aérer à 5m de profondeur, leurs galeries consolidées par le mucus facilitent le développement des racines. Le mucus, qui forme l'humus, prévient l'érosion. Dans les sols sablonneux, les agrégats produits par les tortillons améliorent la rétention d'eau.
Le lombric est le principal producteur de terre végétale. Les lombrics dans une prairie produisent 1500 kg de biomasse par hectare.
Ici on voit comment on cueille les salades : on les coupe et on permet aux racines de rester dans le sol.
Faites attention de ne pas mettre le pied sur la plate-bande, ça compacte le sol et l'empêche de respirer. Il faut être très vigilant de ne pas faire de gestes négatifs à l'encontre de la vie du sol.
Dans cette agriculture au sol sauvage, on fait très attention à couper et ne pas arracher, toutes les plantes dont la racine n'est pas utilisée pour laisser dans le sol de quoi nourrir ses habitants et permettre à l'humus microbien de se perpétuer pendant que l'humus résiduel prend son temps pour se constituer.
Nous sommes au mois d'août.
Cette laitue qui avait été coupée lorsqu'elle a été cueillie a repoussé, et comme toutes les autres traitées de cette façon, montera en fleur et donnera des graines.
Les œillets d'inde, comme les soucis, sont mélangés parmi toutes les autres plantes du jardin. Les fleurs sont bénéfiques à l'ensemble du système : elles attirent des insectes pollinisateurs ainsi que des prédateurs bénéfiques.
Comme vous pouvez le constater, la taille et la qualité des plantes en aucun cas n'ont été sacrifiées par la non-utilisation de compost ou tout autre fertilisant.
Les courges seront ramassées plus tard, les choux seront cueillis tout au long de l'automne et de l'hiver
Poireaux et laitues dans les côtés des plate-bandes.
Les poireaux, trois mois après leur repiquage.
Les laitues ont été repiquées continuellement.
Ces plants de tomate n'ont eu besoin d'aucun traitement pour rester en bonne santé et en bonne production
Ces carottes, semées trop drues, ont besoin d'être éclaircies.
On a attendu pour le faire pour que ce que l'on enlève soit assez grand pour être mangé.
Pour éclaircir vous pouvez retirer le mulch mais surtout rappelez-vous de le remettre après avoir fini votre travail.
C'est l'automne, la cueillette d'été touche à sa fin.
On repique des salades et des poireaux parmi les vieilles plantes qu'on laisse continuer leur croissance, aller à maturité, finir leur cycle végétatif, monter en graines.
A côté d'elles nous mettons de nouvelles plantes et on enclenche un système constant où le sol n'est jamais laissé sans plantes ou sans racines. Les racines sont nécessaires au sol comme le soleil aux plantes. Si vous voulez améliorer votre terre, mettez des plantes, et plus il y aura de diversité mieux ce sera pour l'ensemble. Mais surtout, permettez aux plantes de mourir et de se décomposer là où elles ont vécu. Laissez toujours la partie de la plante qui ne nous est pas utile sur place s'intégrer au sol. N'enfouissez rien : dans le mélange que vous créerez, il y aura toujours des racines qui resteront dans le sol et les parties aériennes qui couvriront la terre comme un mulch.
Cela suffit pour maintenir un sol vivant. Le sol sait se nourrir de lui-même, le gaver n'amène que les problèmes d'indigestion, et les maladies pour les plantes.
Ces plates-bandes sont couvertes par des céleris qui n'ont pas été cueillis et utilisés lorsqu'ils étaient mûrs à point.
Les plates-bandes sont aussi couvertes par toute une végétation spontanée, que l'on appelle les "mauvaises herbes", qui auraient dû être désherbées pendant l'été.
Maintenant il y a un gros travail à faire: il faut les arracher avec la racine, les laisser faner dans les couloirs puis les remettre sur les plates-bandes en tant que mulch lorsqu'il n'y aura plus de danger qu'elles reprennent. Malgré que le désherbage manuel paraisse être un système lent, il est définitif c'est à dire qu'une fois arrachées, les mauvaises herbes ne reviendront plus. N'ayant pas remué le sol, de nouvelles semences ne peuvent pas germer, et la quantité de mauvaise herbes diminue chaque année.
Les céleris coupés sont ajoutés à la plate-bande en tant que mulch même s'ils sont montés en graines. De nouvelles feuilles vont sortir de la plante, qui pourront être consommées.
Tout ce qui pousse sur le jardin peut être utilisé comme mulch.
Emilia Hazelip
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